Patrimoine vivant Wallonie-Bruxelles


Les maîtres tailleurs de pierre de GobertangeLes maîtres tailleurs de pierre de Gobertange

C'est quoi ?

"Il y a de l’éternité dans cette pierre, pensons à celui qui la réutilisera"
"Patience, passion, persévérance"
Arnaud Etienne Fontaine, Compagnon tailleur de pierre

La pierre de Gobertange est une pierre blanche calcaire extraite dans la région de Gobertange. Utilisée dès l’époque gallo-romaine, elle est encore taillée aujourd’hui et agrémente de sa blancheur nombre de monuments religieux, de maisons et de fermes de la région, mais également du pays, allant même jusqu’à s’exporter en France et aux Pays-Bas.

De couleur claire allant du beige au blanc, elle est composée d’une grande majorité de calcite (entre 73 et 87 %) et de quartz, auxquels s’ajoutent quelques traces de minéraux ferrugineux.
Le calcaire et les sables de la région, datant de l’âge du Bruxellien, se déposèrent il y a environ 48 millions d’années (durant l’Éocène).
Dans le sous-sol, la pierre se présente en banc, c’est-à-dire en strates séparées par des couches de terre sablonneuse dont l’épaisseur varie entre 80 cm et 1,50 m. Le banc se compose de la pierre, du bousin qui l’entoure et qui n’est autre que de la pierre qui ne s’est pas encore formée et enfin de la couverture qui est une croûte située entre le bousin et la terre.

Pierre de Gobertange © Ooh ! Collective
Pierre de Gobertange © Ooh ! Collective

L’extraction

Le puits, appelé bure, était creusé sur un diamètre de 1,25 m, duquel était extraite la terre argileuse à l’aide d’un treuil tiré par un cheval. Le puisatier rencontrait alors des morceaux de pierres informes qu’il dégageait au pic. Puis du sable, suivi d’autres morceaux de roches plus gros. Les pourtours du puits, souvent fragiles, devaient être renforcés. Le puits descendait parfois jusqu’à 25 mètres de profondeur. En dessous du premier banc s’alternaient des couches de sable et de roches en nombre variable. Les bancs pouvaient faire jusqu’à 30 cm d’épaisseur. Plus le puisatier descendait, plus les bancs étaient épais.
C’est en atteignant le banc noir, appelé lë nwêr, qu’était entamée la première galerie. Ce dernier banc était inexploitable, car il était composé d’une roche trop dure qui abîmait les outils. La galerie étroite pouvait parfois atteindre 30 mètres de long. Le mineur était accroupi, le dos frottant contre le plafond.

Les pierres étaient détachées à l’aide d’un mëneû, un mineur, longue barre de fer à la pointe recourbée qui servait à enlever le sable des cavités afin de libérer la roche. Elle était ensuite dégagée avec un pic, sorte de demi-pioche qui, planté dans les interstices, servait de levier.
Les blocs étaient entassés à la base du puits avant d’être remontés à l’aide d’un treuil demandant l’aide de plusieurs hommes. Une fois la galerie exploitée, les mineurs en entamaient une autre juste à côté afin d’utiliser le même puits. D'autres galeries étaient ensuite aménagées au fur et à mesure de la remontée vers à la surface. Une fois l’exploitation achevée, le bure devait être rebouché.

Le dernier puits de ce genre creusé à Gobertange remonte à 1955. L’extraction moderne se fait par excavation. Dans certaines zones où la pierre affleure, on peut voir des exploitations à ciel ouvert. (1)

Carrière de Gobertange © Ooh ! Collective
Carrière de Gobertange © Ooh ! Collective

La taille

La pierre de Gobertange ne peut pas être travaillée dès sa sortie de la terre, car elle contient trop « d’eau de carrière ». Il faut la laisser reposer pour qu’elle sèche pendant 6 à 12 mois, couverte de terre et de sable afin de la protéger du gel, qui la fragiliserait.

La pierre brute a une longueur généralement inférieure à un mètre pour une largeur de 50 à 80 cm et une épaisseur allant de 15 à 30 cm.
Une fois les pierres choisies par l’appareilleur en vue de l’utilité qu’elles auront, elles sont acheminées vers un grand atelier. Les autres seront travaillées sur place par l’exploitant du puits dans une baraque rudimentaire.

Les étapes de la taille 

Les dimensions sont vérifiées à l’aide d’une règle et d’une équerre

Des marques sont soigneusement tracées au crayon et à la règle, indiquant le niveau au-dessous duquel il ne faudra pas tailler, formant ainsi un rectangle bien précis.

Le tailleur dégauchit le bloc en commençant par dégrossir les arêtes de la grande face du dessus à l’aide d’un burin et d’une masse. Puis il dégage les bords à l’aide d’un ciseau et d’un maillet en bois dur.

Il aplanit ensuite la surface. Il dégrossit tout d'abord le bloc en diagonale avec une pwinte et une masse. Puis il reprend le travail dans l’autre sens avec un ciseau à dents, la gradëne.

La surface est ensuite affinée à la bouchârde, sorte de marteau dont les têtes sont composées de pointes.

S’ensuit la taille qui se fait au burin et en plusieurs passages.

À l’aide de sa règle, le tailleur vérifie qu’il a obtenu une surface bien plane.

L’opération est répétée pour la surface opposée.

L’équarrissage consiste ensuite à aplanir les quatre autres côtés au moyen de la chasse et de la masse.

S’ensuit au besoin l’étape de la création de moulures et autres motifs architecturaux. Le tailleur qui se lance dans cette étape est expérimenté.

Aujourd’hui, les ateliers sont munis de scies mécaniques qui permettent de trancher les blocs en morceau et de débiteuses qui découpent les blocs équarris aux dimensions voulues épargnant ainsi les tâches les plus pénibles aux ouvriers. (1)

  1. D’après l’ouvrage : La Gobertange – Une pierre des hommes. ASBL Gobertange 2000. Cera Holding.

Atelier de la carrière de Gobertange © Ooh ! Collective
Atelier de la carrière de Gobertange © Ooh ! Collective

Ça se passe où ?

La pierre est extraite dans la région de Gobertange, hameau appartenant à Mélin, village situé dans la commune de Jodoigne, dans le Brabant wallon.

La pierre blanche, reconnue pour sa beauté a été utilisée par les artisans mineurs de la région pour construire leur maison, mais aussi pour des sites plus grandioses tels que l’Hôtel de ville de Bruxelles, la cathédrale de Malines ou encore les Halles d’Ypres. Elle est utilisée dès le Moyen-Âge dans tous les édifices religieux et civils de la région et est exportée en France et en Hollande.

C'est quand ?

Tout au long de l’année, pour enjoliver un nid, souligner le regard d’une fenêtre ou paver de lumière une cour...

Un brin d’évasion

L’art des croix de pierre arméniennes

Inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité

« Le Khachkar est une stèle érigée en plein air, sculptée dans la pierre par des artisans en Arménie et au sein des communautés de la diaspora arménienne. Il sert, entre autres, de point focal du culte, de pierre commémorative et de relique facilitant la communication entre séculier et divin. Le Khachkar atteint 1,50 mètres de hauteur avec, en son centre, une croix sculptée de manière ornementale, reposant sur le symbole du soleil ou de la roue de l’éternité, accompagnée de motifs géométriques végétaux, d’animaux et de personnages sculptés dans la pierre. Les Khachkars sont généralement taillés dans la pierre de la région et sculptés à l’aide d’un burin, d’une gouge, d’une pointe fine et d’un marteau. Puis les motifs sculptés sont polis au sable fin. Les petites cassures et les irrégularités sont estompées avec du plâtre d’argile ou de la chaux, puis l’ensemble est peint. Une fois terminé, le Khachkar est mis en place lors d’une petite cérémonie religieuse. Après avoir été béni et consacré, le Khachkar est supposé posséder des pouvoirs sacrés et peut apporter une aide, une protection, une victoire, une longue vie, une mémoire et une médiation pour le salut de l’âme. Sur plus de 50 000 Khachkars en Arménie, chacun a sa propre composition et il n’y en a pas deux pareils. Le savoir-faire des Khachkars se transmet en famille ou du maître à l’apprenti, par l’enseignement des méthodes et des motifs traditionnels tout en encourageant le particularisme régional et l’improvisation individuelle. »

L’art des croix de pierre arméniennes. Symbolisme et savoir-faire des Khachkars [en ligne]. UNESCO. Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/00434> (consulté le 24/07/2013)

Croix de pierre arménienne © 2009, R. Nalbandyan
Croix de pierre arménienne © 2009, R. Nalbandyan

Un brin d'histoire

Histoire de Mélin, village dont fait partie le hameau de Gobertange

« Mélin est un village au passé très riche et aux origines anciennes. Dès 953, suite au partage de la Lotharingie, le village de Mélin est intégré au Comté de Louvain. En 1284, les Comtes de Louvain, devenus Ducs de Brabant en 1106, cèdent Mélin et toutes ses dépendances, ainsi que le droit de haute justice au sire de Durbuy. Mélin, devenu seigneurie particulière, sera transmis d’héritage en héritage, jusqu’à la Révolution française. De 1568 à 1576, Mélin subit les avatars des guerres de religion. Ensuite, les guerres de Louis XIV déciment le village. Le traité de la Barrière, en 1715, met fin à tous les troubles et nos régions tombent sous l’autorité autrichienne. C’est une période de paix, propice à la reconstruction.
Aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, le village, à vocation essentiellement agricole, s’enrichit par l’exploitation de la pierre de Gobertange. Les carrières se situent dans un périmètre d’environ 2500 hectares autour du lieu-dit Gobertange, entre Lathuy et saint Remy Geest.
Si beaucoup de personnes ignorent encore aujourd’hui l’existence du petit village de Mélin, tout Belge averti connaît cette célèbre pierre qui au cours des siècles a contribué à faire la réputation de l’entité. Citons ainsi l’Hôtel de Ville de Louvain, la cathédrale de Malines, mais surtout la cathédrale St Michel et Gudule et l’Hôtel de ville de Bruxelles. »

Mélin, un des plus beaux villages de Wallonie [en ligne]. Village de Mélin. Disponible sur le site :

<http://www.villagemelin.be/brochuremelin.pdf > (consulté le 24/07/2013)

Maison de la famille Fontaine © Ooh ! Collective
Maison de la famille Fontaine © Ooh ! Collective

Un brin de poésie

Inventaire du matériel d'exploitation des chantiers de Nestor Boston, légué a ses fils, en janvier 1894 

« 13. Une vieille machine à extraire, estimée cinquante-cinq francs
14. Cinq marteaux, estimés huit francs septante-cinq centimes
15. Cinq leviers, estimés onze francs vingt-cinq centimes
16. Cinq mineurs, estimés sept francs et demi
17. Cinq pioches, estimées douze francs et demi
18. Deux tables avec tréteaux, estimées vingt francs
19. Cinq bouchardes en mauvais état, estimées vingt francs
20. Trois spincelettes, estimées quatre francs cinquante centimes
21. Quatre civières en mauvais état, estimées vingt francs.
22. Quatre vieux chariots de bure, estimés quarante-huit francs.
23. Cinq chaises, estimées six francs vingt-cinq centimes.
24. Cinq treuils, estimées cinquante francs
25. Quatre fourches, estimées seize francs
26. Deux pierres à aiguiser, estimées neuf francs
27. Deux crics, estimés cinquante francs
28. Un cric de rencontre estimé quinze francs
29. Trois portes plans estimés trois francs
30. Cinquante kilogrammes de vieux cercles de bure, estimés deux francs et demi
31. Un ancien châssis de baraque, estimé trois francs
32. Deux compas en fer, estimés cinq francs
33. Trois compas en bois, estimés quatre francs
34. Trois trusquins en fer à tracer, estimés neuf francs
35. Un autre en bois, estimé à la somme de deux francs
36. Quatre quinquets avec abat-jour, estimés seize francs
37. Deux brouettes en mauvais état, estimées six francs

[...] » (sic.)

Étude du notaire Dandoy, de Jodoigne. Acte du notaire Henri Dewaersegger, de Jodoigne, daté du 3 janvier 1894.

TORDOIR, Joseph (dir.). La Gobertange : Une pierre des hommes. Leuven : Cera Holding ASBL Gobertange 2000, page 78.

Chapelle Notre-Dame du Marché à Jodoigne © Ooh ! Collective
Chapelle Notre-Dame du Marché à Jodoigne © Ooh ! Collective

Petit abécédaire

BIA BANC, littéralement le beau banc : banc considéré comme le pain blanc dans la pierre.(2)

LA BOUCHÂRDE : marteau dont les deux têtes sont composées de pointes. (1)

GOBERTANGE : ce sont les Francs Lètes qui seraient à l’origine du nom Goberting, devenu Gobertinge à l’époque romane, puis Gobertange. L’emploi du suffixe –ing signale la dépendance de différents individus vis-à-vie d’un seul et la traduction viendrait de « Gobert et ses gens ». On peut penser qu’un petit groupe de francs, dirigés par un certain Gobert s’installèrent sur le site de Gobertange. (1)

LA GRADËNE : ciseau en acier, d’une largeur de 4 à 7 cm muni de dents à la place du tranchant. (1)

LË GRAV’LÈT : outil du tailleur expérimenté, servant à graver des lettres dans la pierre.

LË GROS LÉT, littéralement le gros lit : banc qui contenait un bon nombre de fossiles et de trous de sable. (2)

LE GUILLAUME ET LA POLKA : sorte de pioche et de marteau qui permettent d’équarrir la pierre et de la débarrasser du bousin.

LË PID D’POYE, littéralement le pied de poule : ce banc de pierre était marqué de traces en forme de pied de poule qui nuançaient la teinte de la pierre. (2)

LA PWINTE : gros fer pointu qu’on frappe avec une masse pour dégrossir les faces de la pierre. (1)

LES SIGNES : différents petits symboles étaient gravés sur les pierres taillées afin d’éviter des échanges de pierre ou pour donner des indications sur l’emplacement des blocs les uns par rapport aux autres. Quelques exemples de signes utilitaires :

  • Les signes de localisation servent à identifier les pierres de chaque pilastre dans les chapelles d’une même église 

  • Les signes d’identification d’assise simple sont posés sur le milieu de chaque pierre d’assise évitant ainsi que des pierres de hauteurs différentes ne se mélangent.

  • Les signes d’appareillage permettent de placer correctement une pierre à côté d’une autre dans une assise ou dans un arc.

  • Les signes de pose simple forment souvent une série numérotée permettant le juste placement des pierres qui se superposent. (1)

LA SPÉÇ’LÈT : masse spéciale utilisée pour équarrir les pavés.

LES TCHÈTS : littéralement chats, ils désignent les nodules silicieux dont les formes variées ne dépassent pas la taille d’un chat. (1)

LË TRAÇ’LÈT : ciseau en acier dont le tranchant est large de 2 à 3 cm, utilisé pour créer des repères sur la pierre à tailler. (1)

  1. D’après l’ouvrage : TORDOIR, Joseph (dir.). La Gobertange : Une pierre des hommes. Leuven : Cera Holding ASBL Gobertange 2000, Page 67, 74, 90, 137 à 141.

  2. Livret de Mireille ETIENNE. Pierre de Gobertange. Cours de Folklore, page 7..

Sources 

TORDOIR, Joseph (dir.). La Gobertange : Une pierre des hommes. Leuven : Cera Holding ASBL Gobertange 2000

ETIENNE, Mireille. Pire dë Gob’tinje. Cours de Folklore. Namur : Cenam

Carrière de Gobertange [en ligne]. Disponible sur : <http://www.carriere-de-gobertange.be/> (consulté le 24/07/2013)

L’art des croix de pierre arméniennes. Symbolisme et savoir-faire des Khachkars [en ligne]. UNESCO. Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/00434> (consulté le 24/07/2013)

Dictionnaire :

Dictionnaire Larousse [en ligne]. Disponible sur : <http://www.larousse.fr/ > (consulté le 24/07/2013)

Liens utiles

Site officiel de la Province du Brabant Wallon : http://www.brabantwallon.be/

Page Facebook de la fédération du tourisme de la Province du Brabant Wallon : https://www.facebook.com/pages/Destination-Brabant-wallon/507728419283539

Site de la Maison du tourisme de la Hesbaye brabançonne : http://www.hesbayebrabanconne.be

Site de Musique en Wallonie : http://www.musiwall.ulg.ac.be/

À écouter :

Félix Godefroid, La harpe éolienne. Interprété par Sophie Hallynck © et ℗ Musique en Wallonie