Patrimoine vivant Wallonie-Bruxelles


Les forgerons couteliers d’OstichesLes forgerons couteliers d’Ostiches

  • « Tout petit je sentais les odeurs de la forge, ça me fascinait déjà étant gamin »
  • « Mon plus beau souvenir, c'était mon premier couteau en Damas que j'ai trempé»
  • « On se rencontre entre professionnels (...), on se transmet des choses qu'on a chacun pu découvrir et ensemble on grandit»
  • « Celui qui cherche trouve »

C'est quoi ?

Aiguiser l’outil constitue un seuil en deçà de quoi il y a des bricoleurs, et au-delà de quoi il y a des gens de métier.
Paul Feller

Enseigne de la forge d’Ostiches © Ooh ! Collective
Enseigne de la forge d’Ostiches © Ooh ! Collective

Forgeron est probablement l’un des plus anciens métiers du monde.

Ce savoir-faire remonte à la découverte du travail des métaux, se développe dès la préhistoire, mais doit son apogée à la création d’épées, d’armures et d’engins de guerre.

C’est dans une chaleur intense, avec force, finesse et précision que l’homme modèle son œuvre. Au rythme de la musique de ces coups, il chauffe, façonne, transforme, plie, coupe, cherche son angle d’approche, module sa pression et crée son œuvre en révélant toute la puissance à cette matière qui s’est soumise, alors qu’elle paraissait pourtant immuable.

Son savoir-faire est vaste et ses techniques très précises. Le forgeron peut être amené à réaliser des objets extrêmement divers : des couteaux, des chaudrons, des fers à cheval, des armures bien entendu, mais aussi des portes, des balcons, du mobilier d’intérieur, et de nombreuses œuvres dont font partie celles qui décorent et protègent les portes des églises ou des châteaux, ou encore des œuvres d’art...

Son histoire a commencé avec le fer, puis petit à petit, la qualité étant désirable, il se retourne vers des matières telles que l’acier et la fonte qui permettent alors de nombreuses avancées technologiques.

Le couteau a fait partie des premiers outils fabriqués par l’homme. D’abord en pierre, puis en fer ou en acier, il a été indispensable à la survie de l’espèce et fait encore aujourd’hui partie des incontournables de notre quotidien.

Il se doit d’être facilement manipulable, tout en étant souple et dur à la fois.


Les étapes de réalisation d’un couteau 

Le choix de la composition de l’acier
  • Il est primordial et varie selon l’utilité du futur couteau. L’acier, mélange de fer et de carbone, va permettre à la lame d’obtenir sa solidité. On peut renforcer ou diminuer certaines de ses caractéristiques en y ajoutant certains éléments (chrome, caladium, tungstène, silicium...), ou choisir un damas (feuilleté de différents aciers formants une structure composite plus résistance et plus flexible.)

Trousse en Acier Damassé © Ooh ! Collective
Trousse en Acier Damassé © Ooh ! Collective

La forme de la lame 
  • Elle doit être adaptée à l’usage du couteau. Son épaisseur, sa largeur, sa longueur ou encore son émouture sont à déterminer précisément

Le traitement thermique 

La température choisie va moduler la qualité de l’acier. Il faut éviter de surchauffer la lame, car la cristallisation de l’acier deviendrait grossière et diminuerait sa résistance.

  • Le forgeage : consiste à façonner à chaud (1100°C - 800°C) la forme du couteau. On étire l’acier dans la forme du couteau. Cela permet d’augmenter la résistance mécanique de la lame notamment au niveau de la pointe. Le forgeage est suivi d’un recuit (700°C puis refroidissement lent sur 24H), qui permet de relâcher la pièce d’acier et de la placer dans un état ductile permettant son usinage ultérieur.

  • Le détourage : cette étape consiste à donner la forme définitive au couteau en la rectifiant à l’aide de limes ou d’une ponceuse à bande.

  • L’émouture : c’est la diminution de l’épaisseur de la lame au fur et à mesure qu’on va vers le tranchant. Les pentes ainsi réalisées sont différentes en fonction du type d’émouture.

  • Le perçage de la lame : la soie (manche enfilé sur la soie) ou la plate-semelle (deux plaquettes sont placées de part et d’autre du manche) sont percées afin de placer un manche à l’aide de rivets. Ça permet de consolider le manche à l’ensemble du couteau.

  • La trempe et les revenus : la lame est chauffée à plus de 800°C, puis refroidie dans un bain d’huile. Elle est alors très dure, mais trop cassante pour être utilisée. La trempe est alors suivie de deux revenus d’une heure qui consiste à chauffer la lame dans une plage de température qui en diminue légèrement la dureté, mais augmente sa souplesse.

  • Le polissage : cette étape consiste à enlever de la matière à l’aide de papiers abrasifs de manière à avoir un fini et une régularité déterminée.

Polissage © Ooh ! Collective
Polissage © Ooh ! Collective

  • Le montage de la lame : on la monte sur le manche en bois, corne ou matériaux synthétiques qui sont collés ou rivetés puis finis avec des limes et papiers abrasifs.

  • La réalisation d’un étui : une coque en bois recouverte de cuir est ajustée à la lame afin de la protéger.

Ça se passe où ?

Ostiches est une section de la ville d’Ath, située dans la province du Hainaut en Belgique.

« Un petit village qui se dessine au bout d’une ligne droite avec un moulin en ligne de mire, un virage à gauche, une jolie petite place... Si vous prenez le temps de vous installer à la terrasse du café-restaurant au coin, vous remarquerez vite qu’à droite de l’église, un troll en casquette vous invite à descendre vers un lieu spécial, magique, hors du temps : une forge. »

A.S.B.L La forge d’Ostiches. La forge d’Ostiches [en ligne].
Disponible sur : <http://www.forge-ostiches.be/fr/> (consulté le 12 juillet 2012).

Histoire d’Ostiches

« Ni l’archéologie, ni les archives n’apportent des éléments quant à la localité avant le XIIe siècle.  Dès le Moyen Âge, la seigneurie dominante, y compris le moulin de Stocq, appartient à la baronnie de Leuze.[...] 

Fort typique, l’église est reconstruite en 1827 en style néo-classique ; cependant, le clocher date de 1780 et une partie des fonts baptismaux de 1597.  La façade simule un portique d’entrée, avec ses cinq travées et son fronton.

Plusieurs chapelles jalonnent les chemins, comme au lieu-dit « Chêne Saint-Pierre » (1849).  La chapelle J.B. Cauchies (1817) borde le chemin de Pidebecq.  Elle est dominée par un Christ en croix en pierre bleue et comprend, à l’intérieur, un petit calvaire flanqué de la Vierge et de saint Jean.

Chapelle J.B. Cauchies © Ooh ! Collective
Chapelle J.B. Cauchies © Ooh ! Collective

Ostiches a toujours vécu de l’agriculture et de l’élevage ; en 1950, les prairies prennent le pas.  En 1735, les petites exploitations et le salariat agricole dominent.  Au cours du XIXe siècle, se développent les exploitations moyennes.  L’industrie rurale de la toile disparaît après la crise de 1848.  Le village possédait trois moulins à vent et un pressoir à huile mû par un manège.  Érigé à la fin du XVIIIe siècle par J.B. Deltenre, le Blanc Moulin, de forme tronconique, vient d’être restauré en 2000 avec une galerie muséographie. »

Histoire de la ville d’Ostiches [en ligne].
Disponible sur : <http://histlocostiches.voila.net/index_2.html#haut> (consulté le 12 juillet 2012).

C'est quand ?

En toute saison... La culture métallurgique la plus ancienne remonterait aux Assyriens, et daterait du XIXe siècle avant J.-C.

Un brin d’évasion

Da Si, le village des forgerons au Vietnam

« Une grande partie des villageois de Da Si, province de Hà Tây (Nord), travaillent les métaux. Une histoire qui remonte au XVIIIe siècle, quand le roi Quang Trung choisit cette localité pour y forger des armes.

À l'époque féodale, Da Si était une vraie pépinière de talents. Beaucoup de villageois étaient en effet régulièrement reçus lors des concours mandarinaux. Da Si signifie d'ailleurs littéralement "Beaucoup de lettrés".

À Da Si, on travaille moins la terre que le métal. Sur les 1.300 foyers, 800 vivent en effet du forgeage, 100 autres fournissant des matières premières ou se chargeant de l'écoulement des pièces. Selon Dinh Công Hoán, président de l'Association des forgerons de Da Si, c'est au XVIIIe siècle que ce métier prit racine dans la localité. À l'époque des Tây Son (1773-1792), période houleuse s'il en est, le roi Quang Trung fit installer une forge pour façonner des armes. Deux généraux, Nguyên Thuân et Nguyên Thuât, restèrent sur place et transmirent leur savoir aux autochtones. Ces deux hommes sont maintenant considérés comme des sortes de personnages tutélaires, vénérés par la population. Ils font d'ailleurs l'objet d'un culte dans le dinh (maison commune) du village.

Dans les années 1960, on estime qu'environ 40 % des foyers du village étaient forgerons. En 1963, une coopérative fut créée, qui regroupa vite les artisans les plus qualifiés. Couteaux, ciseaux, pioches, pelles et autres leviers se vendaient bien, autour du village bien sûr, mais aussi dans les provinces voisines. Une décennie plus tard, le métier connut des heures sombres et vivota une quinzaine d'années. La renaissance se fit en 1986, année du lancement de la politique de renouveau socio-économique ou Dôi moi.

Aujourd'hui, les forgerons de Da Si investissent beaucoup dans la modernisation de leurs équipements, certains des centaines de millions de dôngs. La productivité du travail s'accroît, tandis que le coût à la production baisse. En moyenne, chaque atelier fabrique quotidiennement une centaine de pièces de toutes sortes.

 Ces dernières années, malgré le déferlement de marchandises étrangères, les produits de Da Si ont conservé leur place sur le marché national. On les exporte aussi vers le Laos et le Cambodge. En plus de la main-d'oeuvre villageoise, les forges de Da Si emploient aussi des centaines de travailleurs venus des quatre coins de Hà Tây et aussi des provinces voisines comme Bac Giang, Nam Dinh et Hung Yên. En 2001, Da Si a été reconnu "village de métier traditionnel" par le Comité populaire provincial. Et l'Association des forgerons de Da Si a été créée dans la foulée. Avec comme objectif de rassembler les foyers d'artisans pour développer ce métier traditionnel qui fait la gloire et la prospérité du village. »

Dô Thu Hà. Forgeron au Vietnam [en ligne]. Studya, 2005.
Disponible sur : <http://www.studya.com/formations_metiers/metiers_hors_frontieres/forgeron.htm> (consulté le 12 juillet 2012).

Couteaux en acier damassé © Ooh ! Collective
Couteaux en acier damassé © Ooh ! Collective

Un brin d'histoire

Histoire de la forge d’Ostiches

« L’histoire de la forge du marichau d’Ostiches est liée à celle de la famille Lizon.
En effet Alexis Lizon né en 1817 s’est installé à Ostiches comme maréchal ferrant, suivi de son fils Frumence, puis son petit fils Georges et enfin Paul, encore connu sous le surnom de Paul Mence (petit-fils de Frumence). Le dernier à avoir travaillé le fer au feu de forge fut Ernest Friant, beau-frère de Paul, il a aujourd’hui près de 82 ans.
En 1947 Paul fit construire une nouvelle forge attenante à la maison familiale. L’ancienne forge qui faisait partie intégrante de la maison étant devenue trop petite suite à l’évolution du machinisme agricole juste après la Seconde Guerre mondiale.

Paul Lizon à 14 ans entouré de ses parents © Forge d’Ostiches
Paul Lizon à 14 ans entouré de ses parents © Forge d’Ostiches

La forge de dimension carrée (11mx11m) comportait un double foyer avec ventilation électrique, deux enclumes, une grosse meule émeri, une meule à eau, deux établis en bois avec étau, une perceuse radiale à avancement automatique, une plieuse pour fer plat, une cintreuse pour les bandages de roue, une fosse a eau pour refroidir les bandages, un équipement de production d’acétylène pour chalumeau à partir de carbure (qui explosa et ne fut pas remplacé, le plafond de la forge en garde encore des traces) et bien sûr un travail pour le ferrage des chevaux. Elle était pourvue d’un grenier pour entreposer le fer ainsi que des pièces de rechange pour les machines agricoles, de même que les pièces que les forgerons fabriquaient d’avance pendant les périodes creuses en hiver (socs d’extirpateur, pièces de traversier, torions, ancres de scellement, etc.).

Deux forgerons y travaillaient, chacun avait son enclume attitrée et ses marteaux, qu’en aucun cas un autre ne pouvait utiliser. Ils étaient aidés par des apprentis ou des occasionnels pour les gros travaux, par exemple pour les forgeages qui nécessitaient un frappeur de devant avec une masse.

La forge aujourd’hui est restée à peu de choses près dans son état originel, et vu sa superficie on peut aisément y accueillir des visiteurs lors des démonstrations, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’anciennes forges qui étaient souvent petites, sombres et dans lesquelles on devait ferrer les chevaux à l’extérieur. [...] »

A.S.B.L La forge d’Ostiches. Historique [en ligne].
Disponible sur : <http://www.forge-ostiches.be/fr/historique.php> (consulté le 12 juillet 2012).

Un brin de poésie

Le Forgeron

Sous un abri grossier que le charbon enfume,
Dans un recoin rougi d’une chaude lueur,
La manche retroussée et le front en sueur,
Le vaillant forgeron frappe sur son enclume.

Comme le fer qu’il bat, solide est son grand cœur
Que n’amollit jamais la peur ou l’amertume.
Devant l’objet qui naît de son effort vainqueur,
Au feu de la fierté souvent son œil s’allume.

Il aime son métier, parce qu’il est viril,
Et, loin de l’atelier, l’homme semble en exil,
Et, comme quelque oiseau blessé, traîne les ailes.

Mais il est rayonnant, il est superbe à voir,
Lorsque dans la pénombre, à l’approche du soir,
Il fait sous le marteau voler les étincelles.

William Chapman

Petit abécédaire

ACIER : mélange de fer et d’un peu de carbone. Un acier à 0,6% de carbone est considéré comme mi-dur, alors qu’un acier à 1% de carbone est dur. On peut y rajouter du chrome, du vanadium, du tungstène ou du silicium qui permettront de renforcer certaines caractéristiques. (1)

CHROME : le chrome rend l’acier inoxydable, facilite la trempe, mais le fragilise. (1)

DAMAS : c’est l’alternance de différents aciers qui vont être soudés puis repliés de manière à former une structure composite en acier feuilleté. Cela permet de renforcer la lame en augmentant sa résistance aux chocs ainsi que sa flexion. (1)

Trousse d’acier damassé © Ooh ! Collective
Trousse d’acier damassé © Ooh ! Collective

ÉMOUTURE : diminution progressive de l’épaisseur au fur et à mesure qu’on va vers le tranchant. (1)

FIBRAGE DE L’ACIER : étirement de la cristallisation initiale provenant du lingot de coulée. (1)

FORGER : son étymologie provient du latin fabricare, « façonner, fabriquer ». La première moitié du XIIe siècle l’utilisait dans le sens «  créer » puis, « imaginer, inventer ». C’est dans la deuxième partie du XIIe qu’il prend le sens de « travailler un métal ».

REVENU : étape de fabrication qui consiste à chauffer la lame dans une plage de température qui en diminue légèrement la dureté, mais augmente sa souplesse. (1)

SAINT ÉLOI : « Le patron des forgerons est Saint Éloi. Ce dernier commença sa vie en reprenant la forge de son père, puis il choisit le métier d’orfèvre. Il réalisa, entre autres, les trônes du roi Clotaire. À la mort de ce dernier, Dagobert est couronné et nomme Éloi conseiller. Il le suivra toute sa vie, mais lorsque le roi mourut, Éloi rentra dans les ordres et devient évêque. La fortune acquise précédemment lui permit de faire construire de nombreuses églises et d’évangéliser le nord de la France, puis l’Europe. » (2)

TREMPE : étape de fabrication de la lame permettant de durcir l’acier. (1)

(1) Informations provenant du dossier Le couteau selon J-F Colla.

(2) Studya. Forgeron [en ligne]. Disponible sur : <http://www.studya.com/formations_metiers/industrie/Forgeron.htm> (consulté le 12 juillet 2012).

Sources

FELLER Paul, TOURRET Fernand, SCHLIENGER Philippe (photographe). L’outil. Paris : Éditions EPA, 2004, 311 p.

DURAND-CHARRE Madeleine. Les aciers damassés. Paris : Presses des Mines, 2007

COLLA Jean-François. Le couteau selon J-F Colla. Amicale des Chasseurs de la Région Wallone

A.S.B.L La forge d’Ostiches. La forge d’Ostiches [en ligne].
Disponible sur : <http://www.forge-ostiches.be/fr/> (consulté le 12 juillet 2012).

Dô Thu Hà. Forgeron au Vietnam [en ligne]. Studya, 2005.
Disponible sur : <http://www.studya.com/formations_metiers/metiers_hors_frontieres/forgeron.htm> (consulté le 12 juillet 2012).

Dictionnaire Larousse [en ligne].
Disponible sur : <http://www.larousse.fr/> (consulté le 12 juillet 2012)

[S.a], Le Petit Robert des noms propres. Paris : Le Robert, 2001.

Liens utiles

Site de la Province de Hainaut : http://www.hainaut.be/template/template.asp?page=accueil

Site de la forge d’Ostiches : http://www.forge-ostiches.be/fr/index.php

Site du groupe Trivelin : http://trivelin.be/

À écouter :

Trivelin, Waltze Empire, Un ménestrier au milieu du carrefour